La modiste et son destin

par Marie-Christine Bonneau dans Femme, Travail | 5 commentaires

Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, l’industrialisation et l’urbanisation bouleversent les conditions générales de vie autant que les mœurs de bon nombre d’habitants du Québec. Dans la foulée de ces transformations, certaines femmes n’hésitent pas à prendre le chemin de l’usine [1], alors que d’autres contribuent aux revenus familiaux en travaillant à leur compte, à la maison, conciliant tâches domestiques et vie familiale; le métier de modiste convient bien à ce style de vie.

Chez A.C. Savage de Granby

Chez les Savage de Granby

Artisane, la modiste du début du XXe siècle fabrique le chapeau à la main, bien souvent comme un objet unique. Elle conçoit des chapeaux de tissu, de feutre ou de fourrure en fonction de la mode, de ses goûts artistiques et du visage de sa cliente.  Elle modèle, teint, taille, coud et assortit ses chapeaux en les imaginant de toutes formes, tailles et matières. Chacune se fait un point d’honneur d’avoir les créations des plus originales, surtout le matin de Pâques. « Les chapeaux étaient garnis de fleurs, rubans, velours, tulle et plumes, c’était tout un art que de savoir disposer tous ces éléments »[2].

En 1901, on recense une vingtaine de modistes dans le comté de Shefford, dont quinze habitent au village de Granby. Les mères de familles travaillent majoritairement à leur compte, à leur domicile, alors que les plus jeunes femmes, célibataires pour la plupart, sont couramment employées chez d’autres modistes ou dans les magasins généraux, comme A. C. Savage & Sons. Même si les ateliers de modistes d’Antoinette Lambert, d’Hermine Boire, de R. Martel, d’Elmira, Elmina et Maria Bureau s’annoncent officiellement dans The Granby Directory 1912-13, les modistes ont rarement besoin d’enseignes ou de publicité, car leur clientèle leur est fidèle.

Les modistes Antoinette et Rosa Lambert

Les modistes Antoinette et Rosa Lambert

Le travail de la modiste devient plus astreignant à mesure qu’avance le XXe siècle, à une époque où la mode est à la profusion de fleurs, de plumes d’oiseaux exotiques, de rubans et de voilettes. La clientèle, toujours plus difficile à contenter, réclame, tout à la fois, originalité, riches matériaux, modèles complexes et petits prix, des exigences qui en viennent à affecter la santé de plusieurs modistes. À cet égard, en 1918, Le Journal de Waterloo relate le décès d’une jeune modiste et couturière, mademoiselle Laura Meunier, qui s’est éteinte « pieusement » à l’âge de 27 ans, victime, dit-on, de l’épuisement professionnel. « Au service de Melle Laura Meunier – dans la vaste et belle église de Granby, – on était forcé de remarquer certaines femmes et filles, pauvres mais bien vêtues, qui priaient en pleurant. Elles savaient, elles, que si, depuis des années, la défunte était pâle, émaciée, souffrante, c’est parce qu’elle donnait trop de ses nuits à des indigentes honteuses qui voulaient rester honnêtes et qui, pourtant, par leur habillement, n’auraient pas voulu paraître pauvresses ou ridicules. Elle avait un goût exquis, artistique et comme toutes les modistes douées d’une âme délicate, soucieuses de leur responsabilité, elle souffrait d’avoir à confectionner des costumes parfois si bizarres, si peu modestes. Bien qu’elle aimât l’économie, elle eût ardemment désiré ajouter, au haut et au bas de certaines robes, un peu plus d’étoffe. À coup sûr, Mademoiselle Laura, au ciel, prie pour que les modes deviennent plus simples, plus décentes, moins changeantes et moins ruineuses »[3].

Jusqu’aux années 1960, le chapeau fait partie intégrante de l’habillement féminin, conformément aux conventions sociales et religieuses [4]. Mais cette mode séculaire disparaît avec l’esprit de liberté qui caractérise la décennie des Beatles, de l’amour libre et du premier homme sur la lune. Aujourd’hui, quelques ateliers de modistes ont toujours pignon sur rue, mais leurs produits et services sont souvent perçus comme réservés à l’élite.

Marie-Christine Bonneau

© Société d’histoire de la Haute-Yamaska

Fonds Yvette Légaré-Fortin, modiste


  1. [1] En 1891, 13,4% de la main-d’œuvre au Québec est composée de femmes; dix ans plus tard, la proportion atteint 17,8%.( Le Collectif Clio, L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, 1982.)
  2. [2] Ernestine Charland-Rajotte, Drummondville au cœur du Québec, 1972.
  3. [3] Journal de Waterloo, 12 décembre 1918, p. 4.
  4. [4] Jeanne Pomerleau, Des métiers pour le corps, métiers des campagnes 2, 2003.

Étiquettes : ,

Sur le même sujet

Laisser un commentaire

  1. Luc Berner

    Bonjour Mme Bonneau,

    Je ne suis pas un spécialiste de ce genre d’histoire mais je dois dire que j’ai toujours trouvé beaucoup de charmes aux femmes du XIXe siècle portant robes, dentelles et chapeaux. On suggérait, à l’époque, et ma foi, les hommes succombaient, il me semble.

    Ma contribution se limitera donc à ces quelques fiches:

    MODISTE : s. f. ou s. m. – CHAP., TECH. Ce métier se différencie de celui de chapelier. Vers 1750, le dictionnaire de Trévoux définit les modistes comme “des personnes, sans distinction de sexe, qui s’attachent à suivre les modes”. À l’origine, les modistes dépendent des merciers et se regroupent avec les fleuristes et les plumassiers sous la même corporation en 1776. Appelées “faiseuses” ou “marchandes de modes”, elles ont le privilège de garnir et d’enjoliver les robes, les habits de cour, dominos et autres vêtements de femmes et d’enfants dans lesquels entrent des gazes, crêpes, dentelles, velours, rubans, plumes, fleurs …Elles réalisent aussi des chapeaux, des bonnets, des fichus, des mantilles … Rose Bertin fut l’une des premières modistes. Elle s’est distinguée en créant des coiffures pour la reine Marie-Antoinette au XVIIIe siècle. La maison de modes au sens moderne du terme apparaît à la fin du XVIIIe siècle. Le métier de modiste se développe considérablement au XIXe siècle avec Caroline Reboux et au XXe siècle, suivant ainsi l’essor du chapeau féminin.
    Pour devenir modiste, l’apprentissage tel qu’il se pratiquait aux XIXe et XXe siècles ne suffisait pas. Les modistes avaient l’habitude de dire que le talent ne s’enseignait pas : l’art de chiffonner, de modeler, de garnir, d’assortir, d’apprécier le coiffant, les proportions…était inné ; l’apprentissage, indispensable, n’était là que pour orienter. Les modistes comme les grands couturiers ont leurs célébrités : Jeanne Blanchot, Les soeurs Legroux, Madeleine Panizon, Rose Valois, Rose Descat, Suzanne Talbot, Agnès, Paulette, Jean Barthet, Gilbert Orcel, Claude St-Cyr. Certains couturiers ont débuté comme modistes : Jeanne Lanvin, Coco Chanel, Elsa Schiaparelli ; d’autres ont toujours présenté eux-mêmes une collection de chapeaux, comme Jacques Fath, Christian Dior, Yves St-Laurent, Cristobal Balenciaga, Hubert Givenchy….
    Les métiers de chapelier et de modiste sont aussi très différents. Bien que réalisant le même produit, ils ont une conception différente du chapeau et font appel pour sa fabrication à des savoir-faire particuliers. Les chapeliers sont le plus souvent spécialisés et ne travaillent que certaines matières : feutre, paille, tissu…Ils produisent en grande série ou en série limitée des chapeaux d’homme et de femme classiques.
    Encyclopédie du couvre-chef, Samedi midi éditions, p. 259
    http://commeunchapeau.wordpress.com/tag/modiste/

    Caroline Reboux est l’un des noms à retenir dans l’exercice de ce métier. Elle a coiffé de grandes célébrités de l’aristocratie européenne et de grandes actrices, dont Marlene Dietricht.
    Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Caroline_Reboux

    Je crois que ces détails aident également les néophytes à se situer dans ce monde,, un « autre monde » n’est-ce pas ?…

    Merci de votre excellent article.

  2. Luc Berner

    Tout à fait par hasard, dans la livraison de La Presse du 16 décembre 1916, à l’endos d’un article faisant état du 100e anniversaire de la fondation des Frères Maristes, à Lavalla, petit village de la région de Lyon en France, j’ai découvert un article décrivant on ne peut plus éloquemment, le raffinement dont faisait preuve la gent féminine, rivalisant de coquetterie.
    Je ne vous tout simplement pas comment un simple résumé pourrait lui rendre justice. Il me semble fort bien compléter les descriptions de votre article. Jugez-en vous-même …

    MODE FÉMININE/1916/LA PRESSE
    CE QUI SE PORTE

    Les fleurs en soie, pomponnent avec grâce nos toilettes légères, elles y apportent une floraison toute printanière, très appréciable en ces jours de grisaille. Pour le soir, on orne volontiers les robes de tulle de mignonnes guirlandes de fleurs en soie, myosotis, roses, pâquerettes, à la fantaisie si connue, se mouvementent en fine guirlande, et servent de montures aux volants de tulle, lesquels, pour la plupart s’échelonnent tout au long de nos jupes. Ce qui est tout à fait exquis, c’est la garniture de petites roses posée au-devant du corsage, faisant un entredeux fleuri qui s’aperçoit dans l’écart des devants du corsage. C’est un détail, un détail de rien, mais il est charmant, et nos lectrices, qui aiment les coquetteries délicates, apprécieront la fine distinction de ce plastron de fleurs soyeuses à la fantaisie si particulière. On peut faire ces fleurs en soie, en mousseline, en ruban à picot, en ruban rococo uni ou rayé; le plus grand caprice est admis pour cette garniture.
    Nous continuons à tricoter et, de temps en temps, délaissant le tricot sévère destiné à nos chers soldats, nous nous mettons à un ouvrage un peu plus coquet, un peu plus féminin, et nous songeons à confectionner pour nous de petits paletots aux couleurs voyantes. Il n’est guère de jeune fille qui ne possède actuellement tout un jeu de paletots aux vives couleurs, que garnit un tour de marabout blanc, brun, gris, noir ou de teintes assorties aux nuance du lainage. Ces paletots se font au tricot ou au crochet.
    Il est un modèle au crochet qui est charmant, faisant un boléro fendu de côté et lacé par des rubans de teintes vives, noué au bas du lacet. On s’amuse à choisir des rubans de couleurs heurtant la teinte du boléro. On fait du violet et du vert, du rouge et du bleu, du jaune et du violet, etc., plus les alliances de teintes sont vives et inattendues, plus elles ont de chance de nous plaire.
    Les burnous en laine sont charmants également et nous fournissent d’intéressants motifs de parure. De la sorte, grâce à ces paletots, on peut porter, à l’intérieur, ces blouses claires et transparentes, en crêpe, en linon rose ou blanc, dont nous aimons tant la forme. Cette forme représente celle d’une courte tunique fendue sur les épaules et que l’on passe par la tête. Les fentes sont fermées aux épaules par des boutons fantaisie, une fine broderie de perles tourne autour de l’encolure et cerne les épaules. On peut, soit rentrer le bas de la tunique dans la jupe, soit la serrer à la taille, de manière qu’elle dessine une basque ondulant au-dessous de la ceinture.
    Le crochet et le tricot trouvent aussi leur utilisation dans la confection des chapeaux. On fait des chapeaux en soie, en laine, tricotés ou au crochet. À citer aussi les bérets drapés en chenille au crochet, qui sont fort seyants et dont la confection est des plus simples et des plus rapides.
    Les chapeaux se voilent presque tous uniformément de la voilette ronde, à ramages de teinte brune ou taupe, voilette dont le fond est fait de larges mailles de tulle soyeux, dans lequel courent des fleurs aux grands motifs. La voilette retombe en avant ou en arrière, laissant le visage bien libre; mais si, par hasard, on éprouve le besoin de serrer davantage la voilette et de la rapprocher de son visage, on drape la partie retombante en avant en la serrant autour du cou, le voile en arrière continue à être droit et ses plis légers volent librement.

    La Presse, samedi, le 16 décembre 1916.

  3. bonjour, je viens de voir votre site, très intéressant, nous protégeons un patrimoine :chapeaux, vêtements, accessoires (de 1860 à nos jours ) faisons beaucoup d’expositions itinérentes, et je pense que c’est important de nous faire connaitre, nous avons plus de 3000 chapeaux, nous sommes aussi sur facebook: la chapeautheque, c’est bien de rencontrer des personnes qui intéressent aux chapeaux et surtout aux modistes qui faisaient des créations incroyables!! se sont des bijoux!! joint télephonne 0466605623, amicalement, dany caussinus..

  4. Wow, that’s what I was exploring for, what a information! existing here at this weblog, thanks admin of this
    site.

  5. Sujet extra, je partage sur google +

Abonnez-vous à notre infolettre

Articles par catégories

Notre page Facebook