Le barrage Choinière et Granby

par Mario Gendron dans Parc national, rivière Yamaska, Tourisme | 7 commentaires

Construit en 1975-1976 sur la Yamaska Nord, à une dizaine de kilomètres en amont de Granby, le barrage de Savage Mills — nommé plus tard Choinière — fut sans contredit le plus important chantier de l’histoire de la Haute-Yamaska, d’où son surnom de petite Manic-3. Ce projet constituait une étape importante d’une démarche, entreprise par Québec à la fin des années 1960, visant à assainir et contrôler les eaux de la rivière Yamaska. Dans cette perspective, le barrage Choinière avait comme principal objectif d’assurer l’approvisionnement en eau de la ville de Granby, confrontée depuis plusieurs années à des pénuries saisonnières et au goût désagréable de l’eau potable.

La rivièreYamaska, « zone spéciale et projet-pilote »

La construction du barrage de Savage Mills (Choinière) s’inscrit dans une époque de modernisation des infrastructures québécoises, enclenchée avec la Révolution tranquille. Au cours de cette période d’évolution accélérée, Québec prend conscience de l’état environnemental déplorable de plusieurs cours d’eau de la province et, aussi, des entraves que les conditions hydriques imposent au développement. Ainsi, par un arrêt ministériel daté du 3 juillet 1968, le bassin de la rivière Yamaska est-il désigné « zone spéciale et projet-pilote » d’une politique globale d’aménagement des eaux. Le bassin de la Yamaska a été choisi comme priorité par le ministère des Richesses naturelles « parce qu’il constitue un centre géographique en pleine évolution appelé à connaître une expansion assez fantastique si l’on assure des disponibilités en eau suffisantes ». Le lac Brome étant le seul réservoir naturel important du bassin de la Yamaska, les centres urbains comme Granby, Saint-Hyacinthe, Cowansville et Farnham sont déjà placés devant un sérieux problème d’alimentation en eau potable. De plus, la Yamaska s’avère si polluée que La Presse, dans son édition du 11 septembre 1968, n’hésite pas à la qualifier d’ « égout à ciel ouvert ».

Des représentants de six ministères et de l’Office de planification du Québec (OPDQ) feront partie de la mission technique appelée à résoudre la problématique de la Yamaska. Cependant, les municipalités concernées ne seront pas consultées dans l’élaboration de ce dossier, comme le montre le compte-rendu d’une rencontre entre la Ville de Granby et les représentants du ministère des Richesses naturelles, de l’OPDQ et du ministère de l’Environnement, tenue le 23 janvier 1975.

Le Rapport de la mission technique, publié sous la direction de l’OPDQ, est déposé en septembre 1973 ; ses constatations sur la pollution de la rivière Yamaska et sur le manque d’eau qui guette les villes établies sur son parcours ne laissent aucun doute quant à l’urgence d’agir. On estime à 100 millions de dollars les dépenses nécessaires à la correction de la situation. L’assainissement des eaux nécessitera la construction de 51 postes d’épuration et de 22 réseaux d’égouts sanitaires, de même que la reconstruction de 19 réseaux d’égouts municipaux. En ce qui a trait à l’amélioration de l’approvisionnement en eau, le ministère des Richesses naturelles prévoit construire trois barrages sur la Yamaska, le premier d’entre eux à Savage Mills. Ce n’est pas sans raison que la branche nord de la rivière a été choisie comme emplacement du premier barrage, Granby, établie sur son cours, étant la plus grande utilisatrice d’eau de tout le bassin de la Yamaska.

Une petite Manic-3

Financés à hauteur de 10 millions de dollars par les gouvernements provincial et fédéral, les travaux de construction du barrage de Savage Mills (Choinière) s’amorcent en septembre 1974. L’objectif général est de créer un grand réservoir qui permettra d’accumuler l’eau en période d’abondance printanière et de la redistribuer en période de sécheresse, afin de satisfaire, durant toute l’année, à la demande de Granby et des autres agglomérations situées en aval.

La première phase comprend le déboisement et l'essouchement d'une partie du territoire nécessaire à l'érection du barrage-réservoir. La Voix de l'Est, 16 sept. 1975

© La première phase comprend le déboisement et l’essouchement d’une partie du territoire nécessaire à l’érection du barrage-réservoir. La Voix de l’Est, 16 sept. 1975

Après avoir acquis 80 propriétés, d’une superficie totale d’environ 14 km2, et effectué des études préliminaires à l’automne 1974 — relevés topographiques, analyses de sols et forage —, le ministère des Richesses naturelles enclenche, au cours de l’été 1975, le déboisement et l’essouchage de 263 hectares de terrain. En visite sur les lieux, le journaliste de La Presse, Cyrille Fecteau, est impressionné par le gigantisme des opérations : « À perte de vue, les arbres ont été coupés, de longues grues se penchent à droite et à gauche, pendant que d’énormes camions se frayent un chemin à travers des nuages de poussière. » Selon les dires du jeune ingénieur en chef du chantier, Jacques Carpentier : « C’est une sorte de Manic-3 en plus petit » qui est en construction. (La Presse, 4 juillet 1975).

La digue principale mesure 970 m (3 400') de longueur et 25 m (90') de hauteur. La Voix de l'Est, 6 nov. 1976

© La digue principale mesure 970 m (3 400′) de longueur et 25 m (90′) de hauteur. La Voix de l’Est, 6 nov. 1976

Barrage réservoir Choinière, Richesses naturelles, OPDQ

Barrage réservoir Choinière, ministère des Richesses naturelles, OPDQ

L’étape du déblaiement complétée, on passe à celle de la construction des deux digues destinées à contenir l’eau de la rivière, à l’aide de matériaux naturels extraits à l’intérieur des limites d’expropriation. La digue principale, qui mesure 970 m de longueur et 25 m de hauteur, est installée à travers l’ancien lit de la rivière; les ouvrages de contrôle — galeries, déversoirs, puits, vannes —, destinés à régler le débit d’eau qui alimente Granby, y sont incorporés. Quant à la digue secondaire, qui mesure 600 m de longueur et 6 m de hauteur en moyenne, elle a été construite par mesure de sécurité, dans l’éventualité de crues exceptionnelles. Le bâtiment de commande est situé à proximité des ouvrages de contrôle; on y trouve un laboratoire pour l’analyse de l’eau et une salle destinée à recevoir les visiteurs.

En période de crue, l’eau accumulée dans le réservoir franchit les deux déversoirs, tombe dans le puits de contrôle et s’engouffre dans une galerie souterraine de détournement (galerie aval), y parcourant 161 mètres avant de rejoindre le cours normal de la rivière. La galerie amont mesure 84 m; elle est utilisée en période d’étiage. Les vannes servent à régulariser le débit de la rivière.

En période de crue, l’eau accumulée dans le réservoir franchit les deux déversoirs, tombe dans le puits de contrôle et s’engouffre dans une galerie souterraine de détournement (galerie aval), y parcourant 161 mètres avant de rejoindre le cours normal de la rivière. La galerie amont mesure 84 m; elle est utilisée en période d’étiage. Les vannes servent à régulariser le débit de la rivière. Barrage réservoir Choinière, ministère des Richesses naturelles, OPDQ

Les travaux de construction du barrage sont terminés à l’automne 1976, mais il faut attendre les crues printanières de 1977 pour que le bassin s’emplisse et que les opérations s’enclenchent.

L'un des deux entonnoirs dans lequel l'eau de surplus du lac s'engouffre une fois le mise en eau complétée. La Voix de l'Est, 6 nov. 1976

© L’un des deux entonnoirs dans lequel l’eau de surplus du lac s’engouffre une fois la mise en eau complétée. La Voix de l’Est, 6 nov. 1976

Grâce au réservoir, d’une superficie de 4,7 km2 et d’une capacité de plus de 30 millions de mètres cubes d’eau, on pourra maintenir le débit de la Yamaska Nord au-delà de 2 mètres cubes/seconde au cours des périodes de sécheresse et assurer l’approvisionnement constant en eau de la capitale régionale. Cependant, malgré l’insalubrité manifeste de la rivière, sa dépollution ne sera entreprise de façon sérieuse qu’au milieu des années 1980.

 

Le parc national de la Yamaska

Une plage d’une longueur de 650 mètres est aménagée.

© Une plage d’une longueur de 650 mètres est aménagée.

Le parc de la Yamaska, une zone protégée vouée aux loisirs de plein air, est partie intégrante du projet de construction du barrage-réservoir Choinière, comme le montre la superficie du territoire exproprié. Québec considère que la présence d’un grand plan d’eau dans une région peu pourvue en lacs offre un potentiel récréatif indéniable, en plus de favoriser la protection du milieu naturel.

Plusieurs activités s’ajoutent au fil des ans : ski nordique, raquette, cyclisme, nautisme, pour n’en nommer que quelques-unes.

© Plusieurs activités s’ajoutent au fil des ans : ski nordique, raquette, cyclisme, nautisme, pour n’en nommer que quelques-unes.

Ouvert à la population en août 1979, le territoire public qui entoure le réservoir Choinière obtient différents statuts de protection jusqu’en 1983, quand le Parc de récréation de la Yamaska est formellement créé; en 2001, la Loi sur les parcs lui confère le statut de parc national. Au cours de la première saison, on y pratique la pêche, la promenade en forêt et on peut y pique-niquer, mais la baignade, malgré l’existence d’une plage d’une longueur de 650 mètres, y est interdite en raison du haut niveau de pollution du réservoir Choinière; bientôt, 150 places de camping y sont offertes au public. Afin de desservir une clientèle de plus en plus nombreuse et diversifiée, plusieurs activités s’ajoutent au fil des ans : ski nordique, raquette, cyclisme, nautisme, pour n’en nommer que quelques-unes.

En bref, la construction du barrage-réservoir Choinière a non seulement permis de régler définitivement le problème de l’approvisionnement en eau de la capitale régionale, levant ainsi l’hypothèque qui pesait sur son développement, mais elle a aussi doté la région d’un territoire protégé qui améliore la qualité de vie des gens d’ici et d’ailleurs.

Mario Gendron

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  1. Luc R. ( Françoise ) Bouchard ( Rousseau )

    ,,, Salut … salut … Mario …
    J’étais avec mon Grand Père dans son bureau ( M. David
    Bouchard ) … grand papa était en train de parler avec des
    responsables de Québec, pour finaliser le nom que devrait
    porter le barrage,
    Finalement, grand papa a déclaré que le nom que devrait
    avoir le barrage devait être Choinière … parce que les

    familles Choinière étaient nombreuses dans le comté, que
    le barrage était situé sur une de leurs nombreuses fermes.
    Finalment le nom de Barrage Choinière a été retenu …
    Les familles
    Choinière étaient à l’époque des familles importantes dans la
    région …

  2. Mario Gendron

    M. Bouchard,

    Merci d’avoir partagé avec nous ces informations privilégiées sur le choix du nom du barrage.

  3. Joseph Boily

    Shefford, le lundi 8 mai2017

    Bonjour. Je demeure sur la rue des Lilas Shefford, soit à environ 7 -8 kilomètres du barrage Choinière qui est situé une fois passé le camps de vacances Massawipi entre Roxton Pond et Shefford .Je comprends qu’il y a des bassins et conduits d’évacuation d’eau en cas de crue importante, mais qu’arriverait-il si le barrage s’effondrait. la crue atteindrait-elle la rue des Lilas ????

    SVP me faire parvenir un plan et autres documents.

    Merci

  4. Mario Gendron

    Monsieur Boily,

    Pour trouver réponse à vos questions, il serait préférable que vous vous adressiez aux autorités du barrage Choinière. Je suis convaincu que ces gens seront en mesure de vous répondre de manière satisfaisante.

    Bien à vous,

    Mario Gendron

  5. Claude Rajotte

    J’ai trouvé dans ce document superbement ecrit l’information que je cherchais depuis longtemps. Merci M. Gendron!

  6. Jean Gallant

    J’y ai travaillé jusqu’à la fin. Du déboisement à la construction du bâtiment de service. Il y a eu un décès accidentel sur ce chantier. Les travailleurs appelaient le chantier la petite Baie James. Je travaillé comme technicien de chantier pour le Ministère des Richesses Naturelles; mon supérieur immédiat sur le site était l’ingénieur Jacques Carpentier. Jean Gallant

  7. Jean-Marie Berube

    Avant la construction du barrage en 1975-76 , je me souviens que les curés de chaque paroisse demandaient aux fidèles de prier pour avoir de la pluie !

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