Médecins et patrimoine à Roxton Pond

par Johanne Rochon dans Patrimoine, Santé | 5 commentaires

Le médecin, tout comme le notaire et le curé, fait partie de l’image classique que l’on se fait d’un village. Roxton Pond a le privilège de posséder deux résidences patrimoniales ayant appartenu à des médecins qui ont laissé leur marque dans l’histoire de la municipalité, Jean-Philippe Leduc (1875–1891) et Émile Labelle (1912–1935). C’est un peu leur histoire qu’on raconte à travers cette présentation patrimoniale.

La Maison du Dr Jean-Philippe Leduc

853, rue Principale

Maison du Dr-Leduc Roxton Pond

© La maison du Dr Jean-Philippe Leduc, premier médecin du village, construite vers 1880. (Photo Chantal Lefebvre, 2006, SHHY)

Le premier document d’une quelconque utilité concernant l’histoire de cette propriété date de 1871. Il concerne la vente par le maître peintre Joseph Pavois d’une propriété de trois arpents en superficie, avec maison et remise, au cordonnier Jean-Baptiste Cadieux, le tout pour 300 $. Le cordonnier Cadieux conserve la propriété jusqu’en 1875, alors que Jean-Philippe Leduc, médecin de Sainte-Pudentienne, l’acquiert pour 340 $. C’est ce dernier qui aurait construit la maison actuelle, probablement peu après son mariage, au tournant des années 1880. En 1891, Leduc est père de six enfants et il héberge aussi sa mère dans cette grande résidence qui compte dix pièces.

Le docteur Jean-Philippe Leduc a été l’un des signataires de la requête demandant la municipalisation du village de Sainte-Pudentienne  (Roxton Pond) en 1886, avant d’être élu comme deuxième maire de la municipalité, de 1886 à 1891. À ce titre, le médecin chirurgien fait adopter, en 1891, un important règlement concernant la salubrité publique, la protection contre les incendies, la circulation et la sécurité des citoyens. Or, au cours de la même année, le Dr Leduc quittait Roxton Pond, préférant exercer sa profession à Sainte-Marie-de-Monnoir. Mais le vide était immédiatement comblé par l’arrivée du docteur Séraphin Bergeron, qui se portait acquéreur de la résidence de son prédécesseur pour 2 250 $. Dans l’acte de vente, il était clairement stipulé que le Dr Leduc ne pouvait plus exercer sa profession à Roxton Pond sans encourir 500 $ d’amende. Entre 1893 et 1902, la grande maison de la rue Principale traverse une décennie de turbulence, changeant de mains plusieurs fois, passant même entre celles du shérif avant d’être vendue au docteur Aurélien Constantineau, qui réside à Roxton Pond depuis 1897. Lorsque ce dernier quitte le village pour s’établir définitivement à Montréal, c’est le « populaire marchand » Joseph Archambault, qui vient de louer « ses magasins, boucheries, résidences privées et dépendances, le tout en face de l’église catholique, à la société Donat Manseau de Wotton », nous dit le Journal de Waterloo du 7 mai 1908, qui s’installe dans la « jolie propriété qu’il a achetée dernièrement du docteur Constantineau ». Le nouvel acquéreur avait été élu conseiller du village en 1894, puis avait occupé le poste de maire de 1902 à 1908.

Après 1915, le grand nombre de transactions concernant cette propriété rend inutile d’en relater l’histoire. Ainsi, jusqu’en 1973, on a relevé plus de vingt changements de propriétaire.

Johanne Rochon

Description architecturale

La maison du docteur Leduc, qui s’inscrit dans l’éclectisme victorien de la fin du XIXe siècle, surprend et étonne par la complexité et l’amalgame de ses nombreux volumes inspirés de divers styles architecturaux. Cette recherche d’effets nouveaux se traduit notamment dans l’asymétrie de la structure, accentuée par la présence d’une tour d’angle inspirée du style néo-Queen Anne, la forme particulière des ouvertures situées à l’étage supérieur, dont la forme en pointe se veut une réminiscence des fenêtres ogivales caractérisant le style néogothique, ainsi que dans la forme de la toiture en tôle, qui illustre un certain rapprochement des toits mansardés identifiant le style Second Empire. La structure principale, qui se caractérise par son élévation sur deux étages et son recouvrement en clins de bois, est complétée par la présence d’une vaste galerie couverte, délimitée par une série de fins piliers ornés de boiseries décoratives et surmontée d’un balcon couvert, disposé en façade et fermé à hauteur d’appui.

Chantal Lefebvre, consultante en patrimoine

Maison du Dr Émile Labelle

929, rue Principale

Maison du Dr Émile Labelle Roxton Pond

© En 1932, la maison d'un étage et demi est agrandie pour permettre, entre autres, d’y aménager une pharmacie et un bureau.(Photo: Chantal Lefebvre, 2006, SHHY)

Construite vers 1873 par le menuisier James A. Honey, puis vendue 450 $ à « Demoiselle » Marguerite Dion, du village de Roxton Pond, cette maison est surtout connue comme celle de la famille Labelle, plus précisément celle du « médecin des pauvres », le docteur Émile Labelle.

Après avoir appartenu à la famille Dion-Dupaul pendant plus de trente ans, la résidence est vendue en 1906 pour 1 200 $ à Henri Langelier, cultivateur de la paroisse de Sainte-Pudentienne, qui la garde six ans avant de la revendre au Dr Labelle, en 1912, pour la somme de 1 800 $. La maison possède alors un étage et demi. En 1932, son agrandissement permettra, entre autres, d’y aménager une pharmacie et un bureau.

Entre le moment où il obtient son diplôme de médecine, en 1908, et son installation définitive à Roxton Pond, en 1912, le docteur Labelle pratique au village de Sainte-Cécile-de-Milton. En 1917, devenu conseiller municipal du village de Roxton Pond, il se fait remarquer en proposant que le Conseil proteste contre le projet du gouvernement du Canada d’imposer la conscription militaire sans avoir consulté les électeurs au préalable.

Famille du Dr Émile Labelle et Rose-Anna Bienvenu

© Le Dr Émile Labelle, son épouse Rose-Anna Bienvenue et leurs enfants, en 1915. (Coll. Lilianne Labelle, SHHY)

L’éloge funèbre que rend La Voix de l’Est au Dr Émile Labelle, en 1935, vaut d’être cité :

« Le Dr Labelle meurt à 56 ans. Avantageusement connu de toute la région, il pratiquait depuis nombre d’années la médecine générale dans les centres ruraux. L’homme que l’on s’était habitué d’appeler “Le médecin des Pauvres” vient de s’éteindre à l’hôpital Ste-Jeanne-d’Arc de Montréal après une longue maladie. […] En 1910, il épousa Mlle Rose-Anna Bienvenue, duquel mariage huit enfants lui survivent […] Le Dr Labelle est disparu au milieu des regrets et de la sympathie de toute la population qu’il avait conquise par sa simplicité, son affabilité et son esprit de sacrifice qu’il déploya jusqu’à ruiner sa santé.

Rares sont les citoyens de la région et même de Granby qui n’ont pas eu l’avantage de connaître ce “Bon Médecin” qui n’a jamais su refuser un appel soit de la part des riches comme des pauvres. Il a compromis sa santé en servant trop et en oubliant toujours que la machine humaine pouvait s’user. Il est mort victime du devoir professionnel ».

En 2006, la famille Labelle était toujours propriétaire des lieux.

Johanne Rochon

Description architecturale

Cette résidence, qui s’élevait initialement sur un étage et demi, lors de sa construction en 1873, connaîtra en 1932 des transformations majeures, principalement basées sur le modèle américain Four Square, caractérisé par son volume cubique s’élevant sur deux étages, sa toiture en pavillon et ses ouvertures allongées perçant symétriquement l’ensemble de la structure. L’habileté des menuisiers de l’époque, alliée à certaines difficultés reliées à l’approvisionnement de matériaux plus résistants, telles la pierre et la brique, explique en partie le grand intérêt porté au revêtement de clins et aux boiseries ornementales de tout genre, dont sont habillées plusieurs demeures de Roxton Pond, comme la maison Dion-DrLabelle.

Outre une vaste galerie couverte s’enroulant sur deux côtés de la résidence et supportée par des piliers reprenant les ordres architecturaux de l’Antiquité, un corps en saillie à trois pans, disposé sur la devanture et qui devait à l’origine servir de pharmacie et de bureau de consultation, complète l’ensemble architectural. Ce même corps en saillie se retrouve également sur la résidence du Dr Ducharme à Waterloo.

Chantal Lefebvre
© Société d’histoire de la Haute-Yamaska

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  1. Luc Berner

    Mme Rochon,

    Il était justifié de parler de ces praticiens de la médecine à Roxton Pond et dans la région. On imagine assez l’héroïsme dont ils ont dû faire preuve pour pratiquer leur art, compte tenu de l’état des routes et des rigoureux hivers de l’époque.

    Dans l’article « Le peuple se fait justice » j’ai souligné le dévouement exceptionnel du Dr Stephen Sewell FOSTER (1792-1868). C’était l’un des prédécesseurs des docteurs Jean-Philippe Leduc (1875-1891) et Émile Labelle (1912-1935).

    La source suivante http://www.thecanadianencyclopedia.com/articles/fr/medecine

    brosse le portrait de l’évolution de la pratique de la médecine au Canada, mentionnant la contribution des Autochtones, des premiers médecins du Régime Français (Richard GIFFARD, premier médecin de l’Hôtel-Dieu de Québec et chirurgien-major des troupes françaises du Canada).
    Il souligne que les médecins militaires dominent la pratique et la profession au XVIIIe siècle.
    On y mentionne le rôle joué par le Dr W. Caldwell et ses associés dans la fondation de la Montreal Medical Institution (plus tard intégrée à l’Université McGill) mais on ne dit mot de ce qui se passait à la même époque à l’Université Laval.

    Devons-nous y voir une autre manifestation des deux « SOLITUDES » ?…

    Quoi qu’il en soit, voici un bref aperçu de la formation que revevaient les médecins dans la deuxième moitié du XIXe siècle:

    SÉMINAIRES

    sur: les médicaments, les thérapeutiques, l’anatomie, la physiologie, principes et les pratiques de la chirurgie, l’accouchement, les maladies et des femmes et des enfants, la médecine légale, quelques dissections, peu de travail en laboratoire.

    Le Dr William OSLER en sera le principal responsable et promoteur (McGill, 1870).

    Anecdote:

    « Quelques étudiants montréalais payent leurs études en enlevant des corps dans le cimetière de Côte-des-Neiges  »

    Comment résumer les faits marquants auxquels furent confrontés les praticiens de la médecine au Québec pendant le XIXe siècle !…

    1. Concernant le choléra, il y avait controverse pour savoir si le choléra était contagieux ou pas. On considérait en général qu’il s’agissait d’une maladie du sang. Les saignées étaient donc pratiquées sur une grande échelle.

    2. Le Dr William Kelly « suggère qu’il existe une corrélation entre les maladies et les mesures d’assainissement ».D’où

    a) quarantaines

    b) lois sanitaires.

    3. Utilisation de l’ ANESTÉSIE: Le Dr Lister (ça découle des travaux de Pasteur) prouve

    « que le taux de récupération des patients souffrant de blessures peut être amélioré de façon considérable si les plaies sont désinfectées. À cette fin, il utilise au début du phénol.

    http://www.thecanadianencyclopedia.com/articles/fr/medecine

    4. Finalement, la RECONNAISSANCE DES DIPLÔMES demeure un grand sujet de TENSIONS

    a) entre les communautés médicales anglophone et francophe d’abord

    b) entre les communautés médicales (anglophone et francophone) formées au pays, et celles formées à l’étranger.

    Comme il est facile de le constater, bien des considérations mériteraient d’autres recherches. Je suis sûr que d’éminents spécialistes de nos universités francophones ont écrit sur le sujet mais je n’ai pas le temps d’en prendre connaissance.

    J’espère cependant que ma petite recherche jettera un peu de lumière sur la formation et les problèmes de la pratique médicale auxquels étaient confrontés les docteurs Foster, Leduc, et Labelle.

    Merci de cet excellent article.

    P.S. En écrivant ce commentaire, je m’en voudrais de ne pas souligner le dévouement du Dr Marc Boisseau (mon cousin) happé par une voiture sur un chemin près de Saint-Pie, alors qu’il aidait un automobiliste en panne. Il n’avait pas trente ans. Comme le Dr Labelle,
    il était d’une grande générosité et avait la « vocation » comme on disait dans le temps. il est le neveu de M. Jean-Louis Boisseau, personnalité bien connue de Granby (La Voix de l’Est, Petits Chanteurs de Granby).

  2. Jacques Renaud

    C’est toujours très intéressant de voir et d’apprendre le patrimoine de Roxton. Des articles comme cela son toujours les bienvenus.

  3. Jean-Pierre Forget

    Le 7 avril 2011, j’ai déposè une liasse de documents auprès de M. Richard Racine devant servir à débuter un fond à mon nom. Dans cette liasse les documents no, 13 et 14 sont des contrats de transactions effectuées par le Dr,Emile Labelle sur des terrains situés à Saint Joachim-de-Shefford.

    Fin des années ’70, début des années ’80 la Voix de l’Est avait publié un article traitant du Dr. Labelle (je crois avoir joint au document pré-cité, une découpure du journal) si ma mémoire est bonne l’article mentionnait que le docteur était natif de Sainte Thérèse-de-Blainville. Comme ma grand-mère maternelle, Aldéa (Adéline) Labelle une fois mariée à vécu à Sainte Thérèse-de-Blainville je me suis toujours demandé si la SHHY , dans ses documents avait le lieu de naissance du Dr. Labelle, ce qui m’inciterait à appronfondir ma recherche

    Félicitations pour votre document.

  4. Émile Roberge

    Fort intéressant! Un ajout important à l’histoire locale. Histoire de deux hommes remarquables et de leurs maisons. Nous aurons un regard neuf sur elles. Les noms Dupaul, Langelier, Bienvenue sont bien de chez nous. On les retrouve dans nos généalogies.

    Une fois de plus, il faut souligner le travail essentiel de notre société d’histoire. Grâce à vous, nous ne sommes pas des « sans histoire ». Merci de votre contribution.

  5. Luc Bernier

    Dans mon premier commentaire, je me doutais bien que des spécialistes francophones avaient régigé un travail historique sur l’histoire de la médecine en Nouvelle-France d’abord, puis au Bas-Canada après la Conquète.
    Tout leur article mérite d’être lu,question de replacer l’évolution de la médecine au Québec dans une perspective qui rende justice aux deux groupes linguistiques.
    Les auteurs mentionnent que les médecins français des débuts avaient reçu leur formation d’institutions de renommée : le Collège Royal de St-Côme, à Paris, et l’École de la Marine de Metz.
    Plus loin, il est précisé que tous les nouveaux étudiants devraient faire leur apprentissage auprès d’un praticien reconnu.
    Bien qu’il y ait eu une période de relâche dans les exigences reliées à la pratique de la profession, très tôt, il y aura des ordonnances des gouverneurs pour corriger le tir. Ces dernières seront d’ailleurs reconduites par les autoriités britanniques.
    1852 constitue une date charnière importante puisque suite à une pétition appuyée par Lord Elgin, la Reine Victoria accorde des lettres patentes à l’Université Laval, lui permettant de décerner des diplômes en médecine.
    Les 4 premiers professeurs furent Jean Blanchet (pathologie générale), Charles-Jacques Frémont (médecine opératoire), James Arthur Sewell (pathologie interne) et Alfred Jackson (toxicologie).

    Ce sont ces professeurs qui, selon toute probabilité, enseignèrent au Dr Sewell des Cantons de l’Est.

    Comme francophones,, on peut être légitimement fiers que le Dr Jean Blanchet ait été choisi comme premier doyen. Il était qualifié, tout autant que ses collègues qui lui succédèrent:

    L’école de médecine de Québec ferme ses portes le 30 avril 1854 et le 25 septembre, le doyen inaugure les cours de la nouvelle Faculté. Ayant reçu une solide formation, ce praticien renommé connaît parfaitement la médecine et entend créer une école à l’avant-garde du progrès. Après un stage de trois ans au Séminaire de Québec, Jean Blanchet avait choisi son oncle, François Blanchet, pour étudier la médecine: ce monitorat dura cinq ans. Il poursuivit ses études durant trois années d’abord à Paris, où il fut l’élève des chirurgiens Dupuytren et Larrey, puis à Londres, où il fut le disciple de Astley Cooper, William Blizard, Curry et Blundell. Il avait obtenu son diplôme du Royal College of Surgeons de Londres en 1820. Il demeura doyen jusqu’en 1856.
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    Au décès de Jean Blanchet, Charles-Jacques Frémont, le plus ancien de ses collègues, devint doyen en 1856 et le resta jusqu’en 1862. Il fit progresser tous les départements de la Faculté, achèva la réalisation du Musée de pathologie et créa un cours d’anatomie microscopique. De plus, il envoya plusieurs jeunes médecins étudier aux États-Unis et en Europe.
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    Puis, pendant 22 ans, la Faculté fut admirablement dirigée par deux doyens loyalistes (donc anglophones et protestants) qui avaient tous deux obtenus leur diplôme de médecine du Royal College of Surgeons d’Édimbourg: James Sewell, de 1863 à 1883, et Alfred Jackson, de 1883 à 1885. Le premier, né en 1810 et doyen durant 20 ans, mit sur pied l’enseignement des maladies des yeux et des oreilles et développa la bibliothèque médicale. Le second, né en 1811, et doyen durant seulement deux ans, poursuivit I’oeuvre du précédent.

    http://www.erudit.org/revue/ms/2003/v19/n10/007178ar.html

    J’étais assez fier de lire cet article. On a tant cherché à rabaisser les Canadiens-français et les Québécois. C’est rafraîchissant de constater qu’il s’est toujours trouvé des gens à la hauteur, dans cette branche du savoir.

    Grand merci aux auteurs de l’article auquel j’ai fait référence: MM. Marc Desmeules et Louis Larochelle.

    L’Histoire du Québec mérite qu’on s’y attarde….

    Luc Bernier

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