Tancrède Boucher de Grosbois et l’instruction obligatoire

par René Beaudin dans Education, Histoire | 8 commentaires

Le docteur Tancrède Boucher de Grosbois a représenté le comté de Shefford à Québec à deux reprises sous la bannière libérale, entre 1888-1892 et 1897-1903. À cette époque de remise en cause des relations entre l’Église et l’État, le travail accompli par le député de Grosbois illustre bien les espoirs de changements qu’entretient une partie de la bourgeoisie francophone du Québec.

Tancrède Boucher de Grosbois, député libéral de Shefford, 1888-1892, 1897-1903. Pierre-Georges Roy, La Législature de Québec, Bulletin des recherches historiques, Lévis, 1897, p. 99.

Né à Chambly en 1846, Tancrède Boucher de Grosbois est apparenté à la grande famille des Boucher, seigneurs de Boucherville. Il étudie d’abord au collège de Saint-Hyacinthe et ensuite à l’université McGill, où il est reçu médecin en 1868. Il exercera sa profession à Longueuil, Saint-Bruno, Chambly et Roxton Falls. Candidat libéral défait dans Chambly aux élections fédérales de 1872 et dans Shefford aux élections provinciales de 1881, il est finalement élu dans ce dernier comté en 1888.

L’action politique de Boucher de Grosbois, surtout celle qu’il exerce au cours de son deuxième mandat (1897-1903), souligne l’esprit de réforme qui prévaut au sein d’une certaine élite contre la prépondérance et l’immobilisme de l’Église en matière d’éducation. À l’avant-garde des événements, c’est de Grosbois qui posera le premier geste concret en vue de l’établissement, au Québec, de l’instruction obligatoire. Ainsi, le 5 mars 1901, il dépose à l’Assemblée législative un projet de loi « à l’effet d’assurer une meilleure assistance aux écoles publiques ». Selon les termes de ce projet de loi, les parents seraient obligés, sous peine d’amende, d’envoyer leurs enfants de 8 à 13 ans à l’école pour une durée d’au moins 16 semaines durant l’année scolaire, et ce, dans le respect des croyances religieuses des catholiques et des protestants. Mais le projet de loi sera rejeté par 55 voix contre 7, le principal argument des opposants étant qu’il attentait à la liberté des parents en matière d’éducation. Or, la véritable opposition au projet de loi du député de Shefford venait du clergé et de ses supporteurs qui y voyaient une tentative de laïcisation de l’école, une institution sous tutelle cléricale.

Au tournant du XXe siècle, selon l’Église, deux périls menacent la société canadienne-française : l’un est anglo-protestant et l’autre maçonnique. Or, le projet de loi proposé par le docteur Boucher de Grosbois était soutenu, entre autres partisans, par un groupe d`amis et collègues médecins de Montréal qui étaient soupçonnés d’avoir des accointances avec les franc-maçons de France, particulièrement avec un certain Louis Herbette, un sénateur radical, membre influent du conseil général de la Ligue française de l’enseignement qui avait fait la promotion de l’instruction publique obligatoire et de l’école laïque et républicaine. Mgr Bruchési, qui s’opposait officiellement à la scolarisation obligatoire des enfants « au nom de la puissance paternelle », craignait en réalité que le mouvement de laïcisation français ne prenne de l’ampleur et qu’il ne s’implante au Québec. Les appréhensions du prélat se confirmeront d’ailleurs en 1903, lorsque le docteur Émile Combes, ministre de l’Intérieur et des Cultes en France, fera interdire d’enseignement 54 congrégations masculines et, quelques mois plus tard, 80 congrégations féminines. Le Canada accueillera un grand nombre de ces laissés-pour-compte.

© En 1889, le Dr de Grosbois obtient du gouvernement provincial une subvention de 500$ pour la construction de l'école pour garçons de Waterloo, évaluée à 3 000$. Fonds R. Monnier, SHHY.

Le rejet du projet de loi de Boucher de Grosbois ne signifie pas pour autant la fin du débat sur l’instruction publique obligatoire, une certaine partie de la bourgeoisie francophone continuant à contester l’influence de l’Église en ce domaine. Mais l’évolution des mentalités ne sera pas assez rapide pour permettre au docteur Boucher de Grosbois d’assister à la réalisation de sa démarche éducative. Il décède à Montréal en 1926, alors que la loi sur l’instruction publique obligatoire au Québec ne sera adoptée qu’en 1943.

René Beaudin

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  1. Claire Ouellet

    Article très intéressant. Je suis contente d’apprendre les différentes tentatives(actions politiques) d’un député de notre région concernant l’éducation. En éducation, nous attribuons beaucoup de changement lors de la Révolution tranquille, mais par cet article, nous réalisons que c’était une préoccupation remonte à plus de 100 ans

  2. Émile Roberge

    Bravo René!
    Je savais peu de choses de ce député de Shefford. En fait je ne le connaissais que de nom.
    Cet homme mériterait bien qu’une rue porte son nom.
    J’en parle à Renée Néron, membre de ce comité
    Merci,
    Émile

  3. Luc Bernier

    J’ai grandement apprécié votre article en éducation au sujet de la contribution de Tancrède Boucher de Grosbois. Honoré Mercier s’était également battu pour cette grande cause.
    On ne peut plus nier aujourd’hui les efforts déployés par certains évêques catholiques pour empêcher que les classes populaires aient accès à une plus grande instruction.
    En même temps, il y avait également chez ces mêmes catholiques (prêtres, communautés enseignantes, laïcs) des gens bien déterminés à préparer la jeunesse à prendre sa place dans le monde bouleversé par la révolution industrielle.
    Le Collège des Frères Maristes de Granby, était du nombre .On y donnait des cours en anglais et en français et on y enseignait des matières commerciales. L’externat accueillait des franco-américains.

    Mgr Georges Cabana, futur archevêque de Sherbrooke et l’un des fondateurs de l’Université de Sherbrooke, y a fait ses études primaires.

    Fondé en 1890, cet important établissement réunissait dans un même édifice, appartenant à la Commission scolaire de la ville, un collège commercial composé de 225 élèves, dont la moitié environ d’internes, et une école paroissiale qui comptait 260 élèves, tous externes ; soit un total de près de 500 enfants. Et ce nombre allait s’accroissant d’année en année, si bien que, pour permettre de faire accueil aux nouveaux venus, la Commission scolaire avait décidé la construction d’un agrandissement. qui venait d’être terminé et dont le devis se montait à 125.000 frs. Vingt-deux Frères y étaient employés : seize au collège et six à l’externat.
    http://www.champagnat.org/fr/260400004.php?id=3537

    Suite à un incendie (mars 1911), les Frères Maristes quittèrent et ne revinrent qu’en 1953, acceptant la direction de l’École Saint-Benoît.

    Luc Bernier.

  4. luc bernier

    Le Frère Jean-de-la-Lande (Gérard Pelletier) f.m.s., un grand éducateur , fondera les écoles St-Benoît et Notre-Dame de Fatima, soit en 1953 et en 1954.

    Très rapidement, il se méritera le respect de son personnel et des autorités de la Commission scolaire de Granby.

    Son engagement envers les élèves était remarquable, dès les premières semaines de l’année scolaire, toutes les activités religieuses et sportives étaient en place.

    Il ne cachait pas non plus ses convictions nationalistes canadiennes-françaises et le drapeau du Québec flottait fièrement en face de l’école.

    Il savait également l’importance de former la jeunesse à l’épargne et rapidement, il organisa les caisses scolaires, en collaboration avec la Commission scolaire et les Caisses populaires Desjardins.

    Diplômé en orientation de l’ISG ( affilié à l’Université de Montréal), il veilla à développer les travaux manuels chez ceux que le travail intellectuel abstrait rebutait. Ça lui permettra de diriger un certain nombre des élèves vers l’École des Arts et Métiers de Granby.

    L’École Notre-Dame de Fatima avait un professeur de travaux manuels.

    De plus, le Frère Jean-de-la-Lande consacrait plusieurs heures par semaine à des ateliers de découpage du bois.

    Il vit à obtenir la collaboration de grands musiciens maristes pour diriger la Chorale des Petits Chanteurs de Fatima . En fait, cette chorale remporta le concours des chorales, organisé par Les Petits Chanteurs de Granby, trois années de suite. Le trophée revint à l’école.

    On doit souligner le grand rôle que ses semblables de toutes les communautés religieuses d’hommes et de femmes ont joué, dans l’Histoire de l’Éducation au Québec.

    On peut bien mettre sur les nues les réalisateurs de la Révolution tranquille en Éducation mais, sans ceux et celles qui ont remonté le niveau des études aux niveau primaire et secondaire, elle n’aurait pas été possible.

    Qui plus est, plusieurs cegeps et facultés universitaires ont été créés sur les bases d’institutions d’abord fondées par les communautés religieuses:
    cegep de d’Alma (Frères Maristes), cegep de Victoriaville ( Frères du Sacré-Coeur), Université de Sherbrooke et sa faculté de Sciences (Frères du Sacré-Coeur) UQAC (Frères Maristes)…
    .
    Tancrède Boucher de Grosbois aurait certainement reconnu leur engagement exceptionnel. Il avait d’ailleurs, comme le souligne la photo, obtenu une subvention importante pour l’école pour garçons de Waterloo, laquelle allait être dirigée par les Frères Maristes.

    Saluons ce que ces éducateurs et éducatrices ont accompli et témoignons-leur une grande reconnaissance.

    Personnellement, je juge que j’ai un devoir de MÉMOIRE à leur égard.

    Luc Bernier

  5. Paul de Grosbois

    Merci de me faire connaître un ancêtre que je ne connaissais pas. Mon grand-père Camille, décédé dans les années 50 (ou début 60), serait né sur l’Île Grosbois, une des Îles de Boucherville. On m’a déjà dit que sa mère remontait le fleuve à la rame, puis le traversait, pour aller vendre son beurre à la Place Jacques-Cartier. Je n’en reviens toujours pas…

    Sur mon baptistère, mon nom est Paul Boucher de Grosbois, comme plusieurs autres dans la famille.
    Avec le temps, presque tous ont cessé d’inclure le « Boucher » et ne l’ont pas légué à leurs enfants.

  6. luc bernier

    Un article de Michel Allard (historien) Devoir du 25 mai 2013, souligne avec raison le 60e anniversaire de l’adoption de la première loi obligeant les parents à envoyer les enfants à l’école en 1942 (gouvernement Godbout).

    D’autres que Tancrède-Boucher de Grosbois se sont battus pour faire reconnaître ce droit de l’éducation aux enfants: des personnalités et des institutions.

    Comme il se doit,M. Allard fait l’historique de toutes les péripéties de ce projet:

    1. abolition du ministère de l’Instruction publique : 1875.

    2. Honoré Mercier : mentionné dans l’article ci-haut.

    3. Félix-Gabriel Marchand: 1897. xxx projet accepté à la majorité à l’Assemblée nationale mais rejeté par le Conseil législatif (non élu).

    4. Tancrède Boucher de Grosbois: 1901.

    5. Ligue d’enseignement: 1902.

    6. l’abbé Nazaire Dubois: 1907. Il était le principal de l’École normale Jacques-Cartier.

    7. La Commission des Écoles catholiques de Montréal: 1909 et Victor Doré (Surintendant de l’Instruction publique et ex-président de la CÉCM)

    8. Raoul Dandurand et T.D.Bouchard (St-Hyacinthe)

    9. Gouvernement de Lomer Gouin: 1919. *** défend de faire travailler les enfants de moins de 14 ans révolus.

    10. États pontificaux: 1930. ***Le pape accepte le principe de l’école obligatoire dans ses États. M. Dandurand croit que le Québec ne tardera pas à suivre … Il se trompait… Il faudra attendre 1942.

    J’encourage fortement tous les intéressés à l’Histoire de l’Éducation à lire cet article de M. Allard. Il est très éclairant sur les positions prises par l’Église institution au Québec.

    On peut noter que les communautés religieuses enseignantes, dont les Frères Maristes à Granby (1890-1911), se préoccupaient grandement d’assurer un enseignant primaire de qualité. Elle respectaient en cela l’idéal de leurs fondateurs et fondatrices.

    Les Soeurs de La Présentation de Marie faisaient également oeuvre exemplaire, au Couvent, pour l’éducation des filles.

    Notre histoire régionale rejoint celle du Québec et de l’Italie.

    Luc Bernier

  7. luc bernier

    Vous me pardonnerez une petite méprise concernant l’année d’adoption de la loi sur l’instruction obligatoire.

    C’est que M. Allard mentionne qu’il y a eu une adoption préalable majoritaire au comité catholique le 7 décembre 1942.

    La loi sera adoptée en 1943.

    En 1961, l’âge sera porté à 15 ans.

    En 1988, il sera porté à 16 ans.

    Selon M. Allard on commence à parler de 18 ans d’ici quelques années

    Luc Bernier

  8. Allard Michel

    Je ne possédais pas autant d’informations relatives au Dr Tancrède Boucher de Grosbois. J’en prends bonne note. L’histoire se construit par l’échange d’informations…. c’est ainsi que nous progressons dans notre connaissance du passé…

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